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mercredi 5 mai 2010

Suaires selon Helioks

par Yves Bernabeu ( écrivain et chroniqueur à La Croix )

Imaginez une galerie de silence, sans soupirail, presque souterraine. Où sommes nous, dans les catacombes, dans un caveau ? En fait, dans une galerie d’art contemporain, place de la Madeleine à Paris, en proie au manège incessant des voitures et au tumulte motorisé. Mais entrons donc, sous l’église de la Madeleine, salle Royale dans ce lieu de sérénité que les œuvres inspirent si puissamment.

« Suaires » c’est l’intitulé de l’exposition d’Helioks, une artiste qui exposa déjà à la galerie de la Bièvre sur le thème de la Sainteté. Le Suaire de Turin trouve ici une seconde actualité en une suite saisissante de peintures.

Avant d’avoir vu la moindre toile, on est d’abord frappé par l’adaptation du support au lieu. Des toiles de lin gris d’un mètre carré ou plus, sont suspendues, tels des étendards, le long d’une allée de pierre, voûtée. Murs minéraux, sorte de tunnel, rarement une galerie d’art aura mieux mérité son nom. Contemporaine, l’exposition l’est déjà en intégrant le principe de l’installation tant les œuvres s’accordent au lieu dont elles tirent parti tandis qu’elles le valorisent aussi. Du coup, il y a ici quelque chose d’une église pour ne pas dire de Lascaux. Il n’y aurait rien sur ces toiles que déjà prévaudrait le sentiment d’une réussite. Le tissu adoucit la pierre mais en toute fidélité avec sa qualité austère. Voilà donc ces voiles oscillant au vent léger des déplacements des visiteurs.

Et si l’on use des termes en vigueur dans le domaine de l’art, l’exposition est aussi de nature conceptuelle. Elle comporte une réflexion évidente sur la peinture. L’idée étant qu’à partir du Saint Suaire du Christ, d’autres suaires sous forme picturale sont possibles. Il est vrai qu’il est difficile de ne pas faire le lien entre le suaire de Turin et la peinture qui utilise aussi la toile de lin comme support. D’autant qu’historiquement, le Suaire commencera d’être exposé au moment de la naissance de la peinture sur toile. Le Christ a peint avec son corps entier sur la toile, avec sa vie et sa mort, que ce soit sur ce tissu-là ou sur un autre. Mais la peinture n’est-elle pas toujours un suaire, elle qui ramène à la surface les choses, apparemment figées dans la figuration, pour qu’elles vivent en notre esprit ? Il y aurait donc là un certain retour aux sources de la peinture, sur le plan du sens, ainsi que le dit d’ailleurs l’une des toiles d’Helioks.

En tout cas, la séparation entre le mystère de ce qui est à représenter et l’acte pictural, est réduite au minimum d’épaisseur. Amincissement radical du rideau théâtral où les forces de l’ombre sont appelées à se manifester sur le voile. Presque rien pour que la magie opère, voile de prestidigitation (il faut bien peindre sur quelque chose), donc un voile en mouvement, pas de châssis, robe de bure de l’infini, du mystère.

On voit ce que le procédé permet ; parlons aussi des contraintes qui l’accompagnent. Il faut savoir que la toile était également flottante lors de l’exécution, elle n’était pas appliquée sur un support dur. Ainsi se dérobait-elle à l’appui du pinceau. Il s’agissait donc pour s’y poser de faire taire l’impulsivité et traduire sans le déranger ce qui était derrière. Donc pas de coup de fleuret, d’estocade, toute brutalité bravache eût fait fuir la délicatesse de ce qui était à saisir. Il fallait dessiner, peindre sur du fluide. Gageure semblable à celle de dessiner sur l’eau sans la troubler, en espérant que quelques signes y demeurent.

Eh bien, il en reste quelque chose. Et c’est le fruit de tout ce qui ne pouvait être dû, ni à la saturation de la surface ni à l’appui de la touche, donc peu, donc l’essentiel ; peinture non déclamatoire s’il en est. Simples effleurements ? Mais allez trouver effleurements plus déterminés.

On voit surtout des visages en méditation. En puissance et en grâce, têtes sans cou, de vrais tronçons de colonne qui nous disent quelle assise constitue la vie contemplative. Une tête de Christ émerge, traces de varech dégoulinant sur les joues, rescapé de tous les naufrages, par filiation cosmique, le divin se devant sans doute à quelque démesure. Un peu plus loin, sainte Thérèse d’Avila, bouche close, muette, des fruits délicats en guise de lèvres, signe de plénitude, elle n’a plus rien à demander, elle a en esprit tous les sucs, en bouche tous les sucres. Un peu plus loin, une femme reçoit le fracas de l’annonce du 11 septembre en pleine face, ce qui semble lui briser des yeux de verre. Mais à quelques pas, de Mona Lisa on ne voit que les yeux clos et le sourire aux lèvres. Où est passé son visage ? Il a tout simplement disparu ou il s’est étendu au monde. L’extase ne saurait avoir de frontières et même pas de contours.

Trop de visages aux yeux fermés direz-vous ? C’est parce qu’ils savent. Ils n’ont rien à craindre du dehors, ces nouveaux-nés du dedans. Mais ne vous y trompez pas, ils sentent que vous passez.

C’est la vie intérieure comme elle va, à travers les âges et les gens, les mésaventures mystiques des uns et des autres, de vous et moi. Ce sont des moments de l’entreprise spirituelle au travers différentes images qui semblent se relayer, solidaires, et nous encourager à faire de même.

En vertu de la fidélité au sentiment, pour l’auteur tout est bon. Le figuratif l’emporte mais il peut s’acoquiner avec l’abstraction, des effets fantastiques ou délicatement décoratifs. Mais il s’agit alors de facéties qui nous rapprochent de cette galerie de héros de la sainteté. Et les couronnes, aussi naïves que celles des galettes des rois sur les têtes, sont des traits d’humour qui approfondissent la tendresse pour les êtres. Autant de doctes personnes qui ne donnent pas de leçons mais qui proposent un état libéré. Et puis, il y a de saisissantes proximités sur un même visage, des à-plats d’or, comme torchés à la serpillière, qui nous secouent, qui nous inquiètent, compensés par de légères, tranquilles et précieuses lignes au stylet qui nous disent que la beauté veille.

En quatre traits nous aurons un homme « Papa » dont la canne qui le porte est devenue un membre. Parfois des signes ont l’air de se balader dans l’océan de la toile, ils s’interpellent et sont en résonance. Malgré les vides entre eux, ils sont à bonne distance, ils ont la bonne forme, la juste couleur, la juste taille pour cela, installés qu’ils sont par le doigté le plus sûr.

La résurrection peut faire question. Ici, on sera sûr au moins de contempler la peinture en pleine vie. Parcourons donc cette allée au pas retrouvé du promeneur contemplatif. La destination est inconnue et bien que le parcours ne compte qu’une trentaine de mètres, le voyage pourrait être sans fin. Libre à nous de poursuivre en nous retrouvant place de la Madeleine. Je ne sais si vous en sortirez plus chrétien mais en tout cas frappé par la poésie du christianisme. C’est une exposition qui fait quelque chose de nous. Et si vous avez l’impression de sortir par un autre endroit que celui par lequel vous êtes entré, il n’y a rien là que de normal. C’est vous qui aurez changé, vous serez un soupçon plus libre.

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